mercredi 26 août 2009

La pose des rails



Dans une précédente chronique (assez médiocre, j’en conviens) évidemment rédigée à l’Imparfait du Subjectif, j’introduisais à l’auditoire plus que restreint dont vous faites partie - vous qui lisez ces quelques lignes- la beauté hypnotique et l’expérience scénique que représentent les Black Feldspaths. Lorsque l’idée d’une rencontre a émergé, j’ai affûté mes questions contre la préciosité d’un rubis sombre, pendant que Dr. Benny raccrochait le wagon. Le train des Black Feldspaths ne fait pas grève et Dr. Benny est sans doute le seul à travailler aujourd’hui sans arrière-pensée collaborationniste. Enjambez le portillon, le train ne sifflera pas trois fois…




De cette première année de fac, j’avais bien le souvenir d’un zouave genre rare et excentrique du nom de Kevin.
Un soir de Mai, mon acolyte bloggeur m’apprit que ce Kevin jouait dans un groupe nommé The Black Feldspaths. Tombé sur leur concert par hasard il semblait un peu agité, encore sous le choc de ce qu’il avait vu et me faisait craindre le pire.
Je me résolus pourtant à en apprendre plus et me jeter dans la gueule du web.

Epoque formidable et des millions de groupes à portée de main, tous jugés en une poignée de secondes. Parfois moins.
On défile le Myspace en orgie rapide de PhotosInfluenceTopfriends, écoutant les premières mesures. Comprendre un groupe n’est plus censé prendre du temps.
Vite ! Vite ! Au suivant.

Il n’y avait aucune raison que les Feldspaths y échappent et j’étais vite rassuré.
Du rock normal, des tentations garage agréables mais habituelles.
Puisque il n’y avait plus de risques je décidais d’allonger ma visite de quelques minutes. En jetant un œil sur les membres du groupe je laisserai même le morceau se terminer!
Mais des noms inquiétants commençaient à apparaitre. Zappa, Nosfell, Devo, Weather Report, Danny Elfman et le concept obscur de Funaire.
Le morceau lui ne voulait plus finir et partait vers des sphères plus denses. Des Chœurs, de l’orgue fou, Du Vibraphone!
Le vacarme terminé, je n’étais pas tranquille mais pas convaincu non plus.
Ce mouvement Funaire dont ils se voulaient créateurs et représentants me semblait un peu plastique.
Puis ce cher Vic Vega me proposa d’assister à une de leurs répétitions.
Banco. J’en aurai le cœur net.

Studio 3. Tirer la porte, lourde étouffeuse sonore. Ils sont quatre, seul un manque à l’appel. Pendant deux heures on essaye de se faire oublier, on observe ces studieux concentrés sur leur musique qui tentent et parfois se trompent, jouant encore et encore.
Voir un groupe dans le contexte particulier de la répétition, c’est voir la bête de l’intérieur.

Là, ca saute aux yeux.

Noomen à la batterie, Brice à la contrebasse, Kevin à la guitare et au chant.
Tous les trois forment un cercle autour de Pablo : chanteur, guitariste, claviériste, vibraphoniste…
Ce Pablo a des airs de Pete Doherty. Un peu dandy, un peu Peter Pan aussi. Compositeur fou, il passe d’un instrument à l’autre dans une fièvre continue, comme s’il choisissait ses ingrédients pour se rapprocher fébrilement du chef-d’œuvre.
Aucun doute, c’est lui le leader.
Raté.
S’il partage chants, guitare et chœurs avec Kevin c’est pour une bonne raison.
Catalyseur, celui là semble jouer pour se prendre la foudre, médium parfois traversé par le fantôme d’Elvis.

Pablo&Kevin…
La fonction rapide fait défiler dans ma tête tout ces duos mythiques… Mick&Keith….ces fratries sonores…Carl&Pete… Comme si la formule magique c’était ça… et eux d’évoquer Jack&Meg.
Il y a bien cette tendance des Black Keys et des Stripes à se placer aux Crossroads, ces riffs aux distorsions brutes et rudimentaires.
Mais l’identité du groupe, c’est un peu l’histoire du cerveau de Syd Barret. Ca ne met pas longtemps avant de partir en sucette. Ce goût pour l’ovni et les grands formats double le nombre de chromosomes dont est doté le groupe de rock standard du 21ème siècle.
Quasi-systématiquement leurs chansons finissent par glisser. Une reverb terrible et psychédélique, un solo de vibraphone, un chant en canon et c’est le pied hors du cadre.

‘’Oh Messieurs J’adore ce que vous faites ! Et vous êtes tellement mieux en vrai.’’
Le MP3 et le Marshall, c’est un peu le combat du Crayola et de l’huile sur toile. A coté de leur jeu live, les enregistrements semblent de simples polaroïds.
La rencontre entre ce son primaire et ces arrangements rêveurs m’imposent de curieuses images, des esprits fluorescents qui jouent en Louisiane, des vaisseaux spatiaux liquides.
Après une accalmie, le vent se remet à souffler dans un solo de clavier et Brice part en walking-bass.
Souvent hors-format 3 minutes, sinueux dans de larges passages instrumentaux.

Je comprends peu à peu le concept de Funaire.
Piquer et arracher avec discernement.
Le rock, le garage, la chanson française, le jazz, l’improvisation, littérature, théâtre… Patchwork 21.
Se faire le marionnettiste des membres désarticulés de mouvements obsolètes et se servir de la musique comme d’un terrain de jeu, juste pour s’amuser à dévaler avec ses instruments ces morceaux en montagnes russes acides.

Puisque aucun mouvement musical ne nait plus et qu’il faut deux ans pour absorber un demi-siècle de musique, on sait que la différence viendra de la composition.
Les Black Feldspaths ont pour eux la vision. S’ils ont de la chance leur centaine d’idée encore en gestation pourrait bien aboutir à des concerts en double looping. Pour l’instant, ils posent les rails d’une attraction prometteuse.



Pas de mise en bouche, rentrons de suite dans le vif du sujet…C’est quoi précisément le Funaire ?

Kevin Colin : Il y a une phrase que l’on aime bien répéter pour définir le Funaire, c’est la prétention d’inventer ce qui existe déjà. La construction du mouvement Funaire est en cours, en projet. A la base il y a nous deux-Pablo Padovani et moi-même- et aussi Adrian Schindler.
Pablo Padovani : Il s’agit pour nous de s’opposer au recopiage qui prédomine chez la plupart des groupes aujourd’hui. On cherche avant tout la création de quelque chose de nouveau à partir du mélange des genres. Et les Black Feldspaths essayent de représenter ce mouvement, cette forme de création.


Donc selon vous, le mouvement Funaire répond à un défaut actuel, à un manque ?

Pablo : Absolument. On ne sent pas bien vis-à-vis de la création actuelle. Beaucoup de groupes refont, et on en a ras-le-bol.


Et le mot Funaire, il a une signification particulière ?

Pablo : Non, on l’a inventé spontanément. Il y a une anecdote autour de la création du mot.
Kevin : C’était il y a quelques années, quand Pablo et moi avons commencé à faire de la musique ensemble, on était au lycée. On faisait la queue pour le self et Pablo était la star d’une bande de gamines. On a joué le jeu et commencé à baratiner toute une histoire à propos du Funaire, comme quoi c’était un mouvement inventé lors d’une rencontre entre Voltaire et Dostoïevski.

Et qui sont, excepté les Black Feldspaths, les artistes les plus funaires ?

Pablo : En fait le Funaire c’est un mouvement artistique, qui englobe donc toutes les formes d’art. Kevin est un poète funaire par exemple, il mêle le burlesque, le surréaliste…Un des artistes de base du Funaire, c’est Beck qui est une référence en matière de mélange des genres.
Kevin : Devo aussi, d’une certaine façon…Et un groupe qu’on aime tous et qu’on juge essentiel, c’est Alright Charlie !


Le Funaire a-t’il une visée plus large, plus globale ?

Pablo : Le Funaire est un cercle de réflexion, de discussion. C’est une façon de réfléchir sur la société actuelle. On est choqués par la réflexion artistique contemporaine qui vise à plaire plus qu’à créer.


Parlons de votre groupe, ça fait longtemps que les Black Feldspaths jouent ensemble ?

Kevin : C’est un duo à la base, entre Pablo et moi. On joue ensemble depuis 2005, quatre ans donc. Pablo compose et je m’occupe des textes.
Pablo : On s’est rapidement rendu compte que ce n’était pas pratique à deux. On a longtemps joué uniquement du rock garage, aujourd’hui on a davantage la volonté d’une musique écrite, avec des claviers…

D’ailleurs, vous considérez que vous en êtes arrivé à quel stade de la carrière type d’un groupe de rock ? Les jeunes loups qui font 25 concerts par mois où le groupe qui a déjà un doigts dans l’engrenage ?

Pablo : On en est à un stade de réflexion, on a intégré une contrebasse et un cor d’harmonie, ce qui nous offre de nouvelles possibilités. Mais on recherche toujours, on a le souci d’être en constante évolution.

En écoutant votre musique, on a du mal à cerner précisément vos influences…

Kevin : Zappa pour la façon de composer. Higelin, Hyperclean pour les textes…
Pablo : Je citerais même Dionysos, pas pour les sonorités qui sont différentes mais pour cette volonté de créer des ambiances
Brice (contrebassiste) : on a la même mécanique du cœur !
Pablo : Les Doors aussi…

Et comment on arrive à se détacher de ses influences pour créer quelque chose de vraiment unique selon vous ?

Kevin : On prend le La des Doors, le Mi d’Hyperclean et le Fa# de Zappa…
Pablo : L’âme du groupe vient de la somme de nos personnalités. C’est la rencontre de nos univers respectifs qui forme les Black Feldspaths. On a même des personnages scéniques. Kevin est un peu le Elvis raté, il joue avec l’absurde et le burlesque, il a un bon contact avec le public. Alors que moi je suis plus sombre, j’ai un rôle de savant fou penché sur son clavier, je m’inspire de l’expressionisme allemand.

Comment composent les Black Feldspaths ?

Pablo : Je suis incapable d’écrire une ligne de texte. Je compose une chanson comme si j’écrivais une histoire, je n’écris pas selon le schéma couplet-refrain. Et puis la composition est toujours éclatée. Je peux commencer à travailler sur une chanson en juillet et ne la reprendre qu’en décembre.
Kevin : Après, j’essaye de structurer un peu le résultat. Et pour les paroles, j’essaye également de créer une histoire. Mais parfois, les paroles sont de la pure arnaque, je ne choisis les mots que parce qu’ils riment.
Pablo : Je donne des idées d’orientation du texte aussi. Puis je m’occupe des arrangements. Je suis vraiment intéressé par tout ce qui est sonorités. Et puis c’est un état d’esprit particulier. On essaye de réfléchir en jazzmen, à la façon de Sgt. Pepper, on mêle les influences.
Kevin : On a une chanson en cinq mouvement, à la manière de Atom Hearts Mother de Pink Floyd, c’est l’idée d’une âme qui s’envole dans un univers psychédélique, mystique et qui se questionne, qui hésite entre retourner sur terre ou s’envoler à jamais, il y a une lutte entre le néant et l’absolu. Finalement, l’âme choisit le néant mais avec le Bien puisqu’elle décide de se changer en fleur de coton pour avoir une chance d’être utilisée pour la fabrication de sous-vêtements et de se retrouver dans la petite culotte de sa copine…
Pablo : …Ce qui introduit une part de rationnel. En quelque sorte, l’âme fait l’amour avec le bien. Le tout avec le vocabulaire de Kevin, empreint d’absurde. D’ailleurs, sur scène nous sommes des stéréotypes de nos personnages, on grossit le trait. On a même prévu des performances théâtrales et du Air Guitar avec un ami qui s’appelle Eranox-le-Furieux et qui a pour occupation de squatter la scène avec différents groupes et de faire semblant de jouer de la guitare en même temps qu’eux et donc de se faire aduler comme un membre du groupe car tout le monde ne calcule pas qu’il joue les mains vides. Il a même réussi à le faire avec les Plastiscines !

Finissons par une question tout sauf originale…Des projets pour les semaines et les mois à venir ?

Kevin : Des concerts ! A Paris le 19 février au café Montmartre. Peut-être le 24 février à la scène Bastille aussi. A Toulouse le 13 juin.
Pablo : Kevin cherche des dates pour son nouveau groupe, The Simon Monceau’s Poetry, qui mêle poésie funaire et musique. On va faire des musiques de films aussi, et enregistrer un clip. Ah ! Et continuer d’insulter des groupes !




Dr. Benny & Vic Vega

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